23 octobre 2007

Esclavage à La Réunion

En France, rares sont les espaces aussi marqués que La Réunion par l’histoire de son peuplement. La situation géographique de l’île est une des explications de sa diversité culturelle, mais ce sont avant tout les soubresauts historiques liés à la culture de la canne et donc à l’esclavage qui ont marqué La Réunion.

Un rappel des faits s’impose pour bien saisir le processus qui aboutit à une identité multiculturelle intense. Du nord au sud, mais surtout des bas aux hauts, la diversité culturelle et ethnique de l’île ne cesse aujourd’hui de revendiquer son unité autour de la langue créole et de la reconnaissance d’un passé historique commun.

Rappel historique.

La période de l'esclavage a profondément marqué l'histoire de La Réunion, comme celle des autres anciennes colonies françaises d'outre-mer. Pour autant, il est difficile de dire quand, précisément, furent acheminés les premiers esclaves: le peuplement de l'île devient définitif en 1663, avec les premiers colons et des Malgaches.

Dès 1689, l'île compte 113 esclaves, sur 212 habitants! En 1714, ils sont 534 sur 623 habitants.

C’est dans un premier temps avec l’obligation de planter du café, très gourmand en main d’œuvre, que, vers 1715, les esclaves arrivent en masse de Madagascar et de la côte orientale africaine. A partir de 1770 l’arrivée de cafres (esclaves d’Afrique) dépasse largement la main d'oeuvre en provenance de Madagascar. On reproche à ces derniers leur propension au "marronnage", c'est-à-dire à la fuite vers les hauteurs de l'île. Les cafres viennent essentiellement de la côte mozambicaine et du golfe d'Aden. On pense que 115 000 esclaves auraient été introduits aux Mascareignes entre 1769 et 1810.

En 1794 la Révolution française interdit l’esclavage, mais le décret n’est jamais appliqué. En effet, les deux commissaires du Directoire chargés, tardivement, de l’appliquer, sont chassés de Port-Louis par les exploitants agricoles… et Napoléon 1er rétablit officiellement l’esclavage en 1802.

Au 19ème siècle, au cycle du café succède celui de la canne à sucre, tout autant demandeuse de main d'œuvre. A partir de ce moment l’île va littéralement se construire autour de la canne à sucre. A travers celle-ci se forme une identité créole faite des différentes origines ethniques.

En effet la minorité des propriétaires terriens blancs cherche à diversifier les lieux de provenance des esclaves afin de prévenir toute tentative de révolte à partir d'un noyau ethnique important. Cette diversité permet aux autorités coloniales de jouer sur la division selon le fameux adage "diviser pour mieux régner ". Ces différences culturelles et ethniques ne permettent alors pas une réelle unité, une conscience commune du monde esclave. Il y a pourtant des révoltes : celle de 1799, à Sainte Rose, où 11 inculpés sont condamnés à mort, celle de 1811 à St Leu où la répression est extrêmement brutale, car il faut décourager toute nouvelle initiative.

A partir de 1817, la traite est de nouveau interdite, ce qui n'empêche pas les arrivées clandestines jusque vers 1830. A la date de l'abolition de l'esclavage en 1848, le nombre d'esclaves est de 60 800, après avoir culminé à 69 983 en 1834.


Par la révolution de février 1848, d'emblée acquise à la suppression de l'esclavage, le gouvernement provisoire, sous l'influence de Schoelcher, décide d'aller vite. Le 27 avril 1848, sort le fameux décret commençant par : « l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles… ».


Sarda Garriga est alors chargé de l'application de cette grande réforme à La Réunion, où il est envoyé en qualité de commissaire général de la République. Lorsqu'il parvient dans l'île le 14 octobre 1848 il la trouve entièrement calme: on n'y a connu, à l'annonce des décrets parisiens, ni de réactions violentes des propriétaires, ni d'émeutes d'esclaves désireux de hâter les choses. Cependant, il s’est dégagé une majorité, au sein de l'assemblée générale de délégués des maîtres d'esclaves réunie à St Denis, pour affirmer ses sentiments de soumission de principe aux décisions métropolitaines, mais aussi pour obtenir, du commissaire, un ajournement de l'application des décrets jusqu'à la fin de la campagne sucrière... D'autre part les esclaves sont fort inquiets et craignent que la libération annoncée ne se produise jamais. Que va faire Sarda ? S'il transige, il se met à la merci d'une classe. S’il promulgue immédiatement le décret d'abolition, c'est le saut dans l'inconnu…

Le commissaire général montre immédiatement de la fermeté vis-à-vis des propriétaires. Il reçoit les représentations de leur assemblée...mais refuse tout ajournement. Dès le 19 octobre le décret est promulgué: les esclaves sont donc libres le 20 décembre, mais Sarda doit s'occuper du maintien de l'activité économique. Aussi, avant même la promulgation lance-t-il sa fameuse proclamation dans laquelle l'accent est mis sur le devoir du travail. Puis il s'attaque à sa réglementation… les esclaves sont tenus de contracter un engagement avec un patron. Les esclaves ne tardent pas à s'en inquiéter. Certains parlent de travail forcé. Le commissaire voit immédiatement le nouveau danger et entreprend son mémorable tour de l'île au cours duquel, avec une inlassable patience, il explique aux esclaves la nécessité des engagements.


Quand vient le grand jour du 20 décembre, les nouveaux citoyens manifestent une maturité étonnante. Il n'y a pas le moindre désordre, pas même d'ivresse. La joie manifeste, mais mesurée, se traduit par quelques danses et par des cortèges ordonnés… Le lendemain tout le monde est au travail. Les ateliers de discipline n'ont à recueillir qu'une centaine de chômeurs volontaires alors que l'on vient de libérer d'un seul coup 60 000 personnes.

Dès avant 1848, date de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, plusieurs propriétaires recrutent des "engagés", en provenance des colonies britanniques indiennes. Ainsi, à la fin de l'année 1848, l'île compte parmi les immigrants engagés des Indiens, des Africains et des Chinois... Beaucoup repartent à la fin de leur contrat d'engagement, car les propriétaires terriens qui les emploient ne font guère de différence dans leur manière de les traiter avec leur ancienne main d'oeuvre servile... L'engagisme prend fin en 1933, avec la révolte des travailleurs engagés Rodriguais.

Les conséquences aujourd’hui.

La composition sociologique de La Réunion est donc ancrée dans un processus de peuplement forcé. Les différentes origines des esclaves façonnent la population d’aujourd’hui. Mais tout en gardant leurs identités propres ces peuples transcendent leurs différences pour se réunir autour de valeurs communes : la créolité, la canne à sucre… Les peuples ont apporté leur culture, leurs traditions et l’île compose autour de ces acquis. Notons la cœxistence de quelques origines ethniques différentes : les cafres, les petits blancs des hauts, les malgaches, les malbars, les chinois, les Zarabes, les Zoreils…

Les cafres. Le terme est usité à la Réunion, où il a le sens de « personne d'origine africaine ». Il a donné son nom à la Plaine des Cafres et, le 20 décembre, la fête des Cafres célèbre l’abolition de l’esclavage proclamée en ce jour de 1848 par Sarda-Garriga. Un bal libre, rythmé aux sons du rouler, du bobre, du kayamb, ces instruments hérités d’Afrique est donné chaque 20 décembre, jour férié.

Les Petits Blancs des Hauts sont les habitants des Hauts de l'île de la Réunion dont la peau est claire et le statut social peu élevé. Il s’agit des petits exploitants agricoles ruinés par l’abolition de l’esclavage. Alors que le Blanc reste aujourd'hui associé à l'esclavagisme dans l'imaginaire de l'archipel antillais, il est davantage considéré comme une composante neutre de la population dans le département d'outre-mer français de l'océan Indien. C'est d'autant plus vrai que des communautés comme celles que forment les Zarabes ou les personnes originaires de Chine ont par ailleurs pu s'enrichir rapidement grâce au commerce, ce qui a permis une forme d'égalité sociale. Cette dernière permet elle-même la dilution des identités communautaires dans un ensemble créole. Aujourd'hui, les terres qu'habitent les petits Blancs des Hauts font l'objet d'une réhabilitation importante de la part des pouvoirs publics. L'élevage qu'ils pratiquent se développe rapidement. Ils restent tout de même frappés par un chômage très important, supérieur à 50% dans certains îlets.

L’esclavage reste le même partout dans le monde. Cela dit, à l’inverse des Antilles, le recrutement des esclaves dans l’Océan indien s’opérait de façon variée. Les esclaves pouvaient être Indiens, Malgaches ou venir d’Indonésie et surtout d’Afrique. Ici, la langue créole et la reconnaissance d’une appartenance commune a créé un lien fort entre les différentes composantes d’origines. Il y a véritablement une marche vers une " réunionité " qui s’affirme de plus en plus dans les représentations culturelles et dans la quotidienneté des habitants de l’île. A la Réunion, on s’accepte, même s’il reste des séquelles encore perceptibles d’un racisme lié à l’histoire de l’esclavage, qui concerne encore la population d’origine africaine. Cela dit, les réunionnais s’acceptent dans leur diversité culturelle et cultuelle. Pour exemple, l’affaire du voile est en quelque sorte anachronique et n’a pas lieu d’être ici. Les réunionnais, qu’ils soient musulmans, catholiques, hindouistes ou autres s’acceptent sans se poser de questions dans leur vécu religieux. Pour eux, le pluralisme culturel et cultuel se conçoit dans le partage et l’acceptation de l’autre.


Fred Menigoz


- Des liens, des documents, une bibliographie
- Le texte de la proclamation de Sarda-Garriga du 20 décembre 1848
- Retrouvez le sommaire du dossier sur l'histoire et les mémoires de l'esclavage.


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