03 octobre 2007

Comment nous sommes devenus américains avec le plan Marshall

L'état de l'Europe en 1945 est désespérant. De nombreuses villes ne sont plus que ruine, la plupart des infrastructures sont détruites, la nourriture est rationnée et la famine menace. Le remède doit être massif et global. L'Europe va alors bénéficier de la conjonction de nom­breux facteurs. Tout d'abord, l'administra­tion américaine compte encore des adep­tes de la politique de relance keynésienne qui a fait ses preuves lors du New Deal en 1933. Ils ont l'oreille des démocrates. Ensuite, l'économie du pays, qui a beau­coup contribué à l'effort de guerre, risque de se retrouver en surproduction, faute de clients européens solvables. Le patronat américain est favorable à des mesures for­tes. Enfin, dopé par la pauvreté, le Parti communiste séduit un électeur sur quatre en France comme en Italie. Redresser l'Europe permet de juguler l'avancée du communisme, en ce début de guerre froi­de. Cet argument convaincra les républi­cains de soutenir, paradoxalement, un engagement massif de l'Etat.

Le programme de redressement de l'Europe, « European Recovery Program », concocté par les Américains, sera baptisé par la suite plan Marshall, après le discours du secrétaire d'Etat tenu à Har­vard il y a tout juste soixante ans. Il repose sur trois objectifs clairs : endiguer l'expan­sion du communisme en finançant le redressement de l'Europe, lutter contre le nationalisme en favorisant le dialogue intra-européen, éviter la crise économi­que en créant des débouchés aux produits américains. Son application est en revan­che extrêmement souple. C'est là que rési­de très certainement la clé de son succès.

14 milliards de dollars

Les choses vont aller très vite. Un mois après le discours de George Marshall, sei­ze pays fondent à Paris le Comité de coopé­ration économique européenne (CCEE) qui deviendra le 16 avril 1948 l'Organisa­tion européenne de coopération économi­que (OECE) - ancêtre de l'Organisation de coopération et de développement éco­nomiques - OCDE -, dans le but de coor­donner les dépenses de reconstruction. Ils seront rejoints en 1949 par l'Allema­gne. Le plan entrera officiellement en vigueur le 2 avril 1948 avec la création de l'Administration de coopération économi­que (Economie Coopération Administra­tion, EGA), qui gère le plan Marshall.

L'aide est versée en deux fois : dans un premier temps, Washington avance les fonds en dollars en payant directement les fournisseurs, les entreprises françai­ses versant la contre-valeur en francs sur un compte spécial du Trésor, ce qui leur permet de s'équiper sans avoir à recher­cher des devises. Dans un deuxième temps, les Etats-Unis autorisent le gouver­nement français à affecter cette contre-valeur à des dépenses d'investissement. De 1948 à 1951, l'ECA fournira près de 14 milliards de dollars à l'Europe, soit environ 125 milliards d'euros actuels, dont 20 % pour la France.

Mais le plan Marshall ne se limite pas à l'aide financière. L'objectif est aussi d'as­surer la suprématie du modèle américain. Des « missions de productivité » sont dépêchées outre-Atlantique. Environ 4 000 Français seront du voyage. Ils découvrent alors ébahis le fossé entre les deux pays. Le facteur de Jour de fête, le film de Jacques Tati, découvrant la pro­ductivité du service postal américain en est la parfaite illustration.

Le plan Marshall a été une réussite écla­tante. Les économies européennes se sont fortement redressées, ouvrant la voie aux « trente glorieuses » Les pays bénéficiaires prennent l'habitude de discuter ensemble, point de départ de l'Union euro­péenne, et enfin les Etats-Unis ont impo­sé leur modèle de société. Abreuvés de sodas et de westerns, les Européens sont définitivement conquis par l'Ouest.

•Chronique de Jacques-Marie Vaslin, maître de conféren­ces à l'IAE d'Amiens et chercheur au Criisea.
Le Monde économie
, 26 juin 2007

Des documents sur le plan Marshall (tableaux, graphiques).

[photo E. Augris : Portrait dédicacé de Georges C. Marshall offert à Robert Schuman, Maison Robert Schuman à Scy Chazelles]

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