08 mars 2008

L'année 1968 au Japon : les vents de la colère


Comme pour les Etats-Unis ou la France, la contestation n'a pas de cause unique. Ainsi peut-on identifier trois axes aux revendications du 68 japonais : une démocratisation du système éducatif, la critique de l'impérialisme américain, notamment au Vietnam, et la dénonciation des méfaits de l'incroyable croissance japonaise sur l'environnement et la population.

La contestation de l'impérialisme des Etats-Unis et du rôle du Japon

C'est de la base américaine d'Okinawa que décollent les B52 qui vont bombarder le Nord-Vietnam, les ports japonais accueillent les navires de l'US Navy. Le Japon est donc, pour les Etats-Unis, une base arrière indispensable depuis la Guerre de Corée qui a d'ailleurs permis un essor remarquable de l'industrie nippone. Depuis le traité de paix de San Fransisco de 1951, entré en vigueur l'année suivante, le Japon est un pays indépendant mais un allié fidèle des Etats-Unis pendant la guerre froide.
On peut dire que le 68 japonais est lancé dès janvier. A l'origine du mouvement, se trouvent les étudiants de la Zengakuren, la ligue des étudiants, qui est proche des communistes mais est traversée de multiples courants. Le port de Sasebo doit accueillir le porte-avions USS Enterprise. Des milliers d'étudiants affrontent la police pour l'en empêcher. Le navire doit finalement s'amarrer au large. En février, c'est la base d'Okinawa (500 km au sud des côtes japonaises) qui est la cible des étudiants. Là aussi, des affrontements se produisent.



Pour la démocratisation des universités

Durant le mois d'avril, ces revendications à propos du Vietnam se mêlent aux revendications concernant plus directement les étudiants, comme en France et aux Etats-Unis. Lycéens et étudiants refusent l'augmentation des taxes scolaires, rejettent la pédagogie pratiquée et la sélection à l'entrée de l'université. Cela entraine l'occupation de 200 universités à partir du mois d'avril. Sur les campus, les étudiants affrontent la police et des groupes nationalistes et d'extrême-droite.

Contre les méfaits du progrès

En cette année 1968, le PNB du Japon dépasse celui de la RFA. Depuis 1955 en effet, l'économie japonaise est entrée dans une période de "Haute-croissance". Mais cet essor s'est fait au prix de nombreuses erreurs, notamment sur les questions environnementales. La contestation de ces méfaits va donc se greffer sur les autres revendications évoquées.
Une affaire symbolise cette question : Minamata. Dans cette ville industrielle de l'île de Kyushu, l'entreprise chimique Chisso, exemple de réussite économique, a rejeté dans la mer de nombreux métaux lourds et du mercure à partir des années 1930. Vingt ans plus tard, les effets de cette pollution se font sentir. Premiers touchés, les pêcheurs et la population locale. De nombreux morts (plus de mille jusqu'à aujourd'hui) et des nombreuses malformations parmi les nouveaux-nés sont peu à peu dévoilés. C'est à partir de 1968 que le combat des habitants pour la reconnaissance de cette "maladie de Minamata" commence à prendre de l'ampleur (Il faut attendre 1995 pour qu'un accord d'indemnisation soit trouvé après de multiples procès...).
Autre sujet de contestation : la construction d'un nouvel aéoport au nord de Tokyo, à Narita, qui conduit à l'expropriation de nombreux agriculteurs. Cela entraine en mars des manifestations de leur part (photo ci-contre). Ils sont rejoints par des étudiants.

La contestation prend de l'ampleur, alimentée par les multiples mécontentements évoqués. Le 15 juin, une manifestation contre l'intervention américaine au Vietnam rassemble des dizaines de milliers de manifestants. Pendant l'été, les occupations d'université se multiplient, associant enseignants et étudiants. Fin octobre, le mouvement mené par la Zengakuren, décide de s'attaquer à des symboles, c'est "l'assaut de Tokyo". Des étudiants et des ouvriers assiègent pendant trois jours la Diète (Parlement), l'Ambassade des Etats-Unis, des postes de police et la gare de Shinjuku à Tokyo. L'agitation s'étend également dans trois cent villes. Ces trois jours font des centaines de blessés dans les deux camps. Les plus résolus se replient sur les universités de Tokyo (Todai) et Nihon. Ces deux sites sont finalement repris par la police en novembre et en janvier 1969 (Todai). La "normalisation" peut commencer....

[Extrait du manga de Yamagami Tatsuhiko, Les vents de la colère]

A lire

- Une chronologie de l'année 1968 au Japon
- Alain Brossat, "La Zengakuren japonaise, modèle pour les étudiants occidentaux ?" in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68 une histoire collective [1962-1981], La Découverte, 2008. L'article est disponible en intégralité.
- Un très bon article sur le 68 japonais.
- Sur la maladie de Minamata, le compte-rendu d'un ouvrage sur la question et l'article de Wikipedia.
- Un manga évoque magnifiquement cette période de l'histoire du Japon, Les vents de la colère de Tatsuhiko Yamagami, publié en feuilleton à la fin des années 1960, il est traduit en français aux éditions Delcourt avec une très bonne introduction et postface de Patrick Chesnet. Mon compte-rendu dans le coin BD-Manga.
- Deux films documentaire sur les résistances aux projets de construction : Un été à Narita, réalisé par Ogawa en 1968 et Kashima Paradise, film de 1973 réalisé par Bennie Deswarte et Yann Le Masson.

Le dossier sur l'histoire de l'Asie orientale et le sommaire complet du dossier sur l'année 1968 en France et dans le monde.

2 commentaires:

blottière a dit…

bravo pour ce bel article sur des événements peu connus (en tout cas d'un point de vue français).

J.B.

E.AUGRIS a dit…

Merci Julien.
C'est en effet pas du tout connu.

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